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En songeant à la peinture de Geneviève Asse, j’ai le sentiment de l’aube, cette progression de la lumière dans l’espace, d’abord douce, et qui s’intensifie à mesure qu’elle s’élève jusqu’à devenir le jour.
J’ai visité pour la première fois une exposition de ses œuvres en 1961 lorsque je venais d’arriver d’Argentine. Elle montrait à Paris de vastes toiles blanches et nues. Dans la galerie, je me suis arrêtée, je ne savais plus bouger. Les blancs n’étaient pas plats et durs comme ils le sont en général lorsqu’ils s’étalent sur une surface. Quelque chose, comparable à un souffle divin, se détachait des toiles et à la fois les imprégnait. Le souf e était à peine perceptible et, lorsque je posais les yeux sur les tableaux, il s’immobilisait. Mais d’une façon ou de l’autre, il leur donnait la vie sans le moindre besoin d’un thème.
«L’écriture, écrit Pascal Quignard, impose tout à coup une brutale mise en silence de la langue».
Pour les Egyptiens, l’écriture signifiait l’accès à l’éternité et manifestait les mystères de l’univers. Ce souffle de vie qui, hors des signes ou des figures, se lève presque invisiblement de la peinture de Geneviève Asse est une écriture enlevée par des brosses, d’abord sur la toile et ensuite dans l’espace. Bien avant cette période «blanche», elle avait peint des natures mortes pareillement dépouillées, où une bouteille, un crayon, un verre, une boîte d’allumettes se répètent sur la table. Gris, noirs, bruns les objets s’écartent les uns des autres pour laisser de la place aux vides qui s’étendent de toile en toile. Figuration et Abstraction disent les mêmes distances, le même silence, le même dénuement comme par exemple dans la Route de Mantes de 1953 où, en traçant une courbe sombre, une route remonte un champ et s’achève sur un bref mur blanc sur le haut du tableau.
«Les formats comptent. Je les choisis et me soumets à eux» écrit-elle dans Notes par deux. Geneviève Asse choisit autant des formats immenses que de très petite taille où survient lentement son espace irréductible. Elle ressent une attirance pour les carrés mais également pour les diptyques, les cercles et les parois verticales où elle réinvente un paysage. Le paysage de son enfance dans le Morbihan ne l’a pas quittée. «L’après-midi on me laissait seule pendant des heures à la plage devant le ciel et la mer» me dit-elle un jour. C’est la lumière de ce paysage, mer et ciel confondus, qui illumine sa peinture.
Et c’est toujours autour d’une ligne - verticale ou horizontale - que se construit l’architecture de son œuvre. Dans l’atelier, on retrouve ses brosses teintées de bleu, ses carnets peints comme si elle s’en servait pour écrire un journal, et ses Notes où je lis : « Le bleu est un appel. Un sentiment de profondeur et d’espérance. Un langage... Lorsque je tire une ligne sur la toile, celle-ci n’est jamais parfaitement verticale : le bleu la remet en équilibre. La couleur me contient... C’est par la transparence que je trouve la lumière... Les blancs ne sont jamais des blancs. Ils sont aussi des couleurs.»
L’aube s’élève doucement des toiles superposées contre les murs, certaines sur un chevalet et, à la fois, les bleus semblent arrêtés par leur propre mouvement, ou prennent vol dans la quiétude, ou plongent dans les profondeurs de la couleur. Ils sont parfois entourés d’un blanc et rouge qui encadre le chassis. Voyage dans l’espace. Accès à l’infini. Les bleus sont en silence sur les tableaux. Une langue transfigurée dévoile l’éternité.
L’écriture maya était divinatoire, le sens étant libre d’errer où il le désire, de se voiler et de se dévoiler. L’écriture de Geneviève Asse connaît les langues du cosmos. Lorsque j’évoque devant elle ces mystères de l’âme, chers à François Cheng, elle me répond : «C’est de la peinture». Et puis elle ajoute : «C’est le geste». Le geste guide sa main et rend visible l’invisible. Dans les années 70, son geste transmet aux tableaux un rayonnement qui oscille, semodi et selon le passage de la lumière sur eux. Dans un catalogue de cette époque, je trouve une phrase de Jean Leymarie : «Geneviève Asse invite le spectateur à refaire son parcours, à pénétrer dans son univers intérieur où la couleur est un appel, à la rejoindre en silence sur ce qu’elle nomme les Chemins de Lumière».
En regardant sa peinture intemporelle, j’entends à nouveau l’appel et je rejoins ces chemins de la lumière où le souffle se transforme, où la peinture est poème et le poème peinture, où le geste dépasse les formats et les mystères, où les portes s’ouvrent, les fenêtres se détachent et les pas retenus se séparent du sol.
Silvia Baron Supervielle
© Galerie Antoine Laurentin / Laurentin gallery
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