Jean Peyrissac est l’un des acteurs majeurs du développement de l’art abstrait en France dans les années 1920 tout en étant un artiste indépendant. Il n’a, en effet appartenu à aucun mouvement en particulier mais il a exposé dans les plus grandes manifestations internationales sur l’art moderne.
Jean Peyrissac est indépendant mais c’est un artiste de son temps, quand il vient à Paris d’Alger c’est pour rencontrer Pablo Picasso, Constantin Brancusi et certains membres du mouvement Surréaliste tel que Paul Eluard. Cependant durant toute sa vie, son oeuvre très personnelle, nourrit de ses réflexions demeure comme un laboratoire de recherches.
Autodidacte, grand intellectuel de culture scientifique et aussi fervent croyant, Jean Peyrissac cherchera constamment à se documenter sur l’histoire de l’art, sur l’histoire des sciences et des civilisations. Il y puise son inspiration. L’histoire de l’art lui procure un raisonnement et une cohérence dans ses réalisations et sa démarche artistique. Il explore le cubisme, découvre l’abstraction et réalise des oeuvres constructivistes dès 1923 qui demeurent les premières pour un artiste français. Parallèlement, Jean Peyrissac écrit de nombreux textes qui sont les fruits de ses réflexions sur l’Art et la Vie.
C’est l’un des rares artistes français à se rendre au Bauhaus de Dessau en 1927 invité par Lyonel Feininger. Son travail en a été durablement et profondément influencé. Ne serait-ce que pour son goût pour l’architecture sur laquelle il travaille, comme par exemple à Alger, en transformant sa maison dans les années 1920 puis par ses relations suivies avec les architectes, tels que Charlotte Perriand, Le Corbusier, André Bloc,avec lesquels il collabore de 1930 jusqu’à sa mort.
Indépendant, il ne répond pas ou peu aux courriers des historiens et des artistes lui demandant de la documentation et des photographies sur son oeuvre. Ses écrits expliquent la difficulté et le pourquoi de ne pas vouloir s’engager définitivement dans la voie de la figuration ou de l’abstraction. Peu de critiques d’art vont comprendre cette posture. A cela s’ajoute le problème de la datation des oeuvres. Jean Peyrissac ne date et ne signe que rarement ses oeuvres.
Notre travail sur le catalogue raisonné permet de démontrer que son oeuvre n’est pas désordonnée. Il débute dans les années 1920 par le dessin figuratif, vivant à Alger il s’intéresse à ses habitants et va vers eux dans la casbah accompagné par Albert Marquet. Il est tenté bien sûr par l’aspect « romantique » du thème orientaliste mais la richesse des sujets l’emporte sur le romantisme et Jean Peyrissac nous livre des dessins qui sont de véritables témoignages de moeurs. Il aborde ensuite l’abstraction et réalise ses premières constructions en reliefs avec des matériaux simples comme le bois et la corde qui sont les premières de ce genre pour un artiste français. Il s’intéresse vivement au Surréalisme, mouvement dont les idées ont germées avec les travaux de recherche menées sur la psychologie et le rêve par Sigmund Freud et le mouvement psychanalytique dont il lit tous les ouvrages. Il va ainsi englober ces connaissances nouvelles dans ses propres travaux abstraits et exécuter des oeuvres à forte connotation poétique. Indépendant encore il va mélanger dans ses oeuvres le constructivisme et le surréalisme. C’est l’une des caractéristiques majeures de son oeuvre.
Plus tard, à partir de ses constructions en reliefs, il aborde la sculpture en mouvement par la construction de mobiles et de stabiles, différents de ceux d’Alexander Calder. Dans ce travail, il montre à nouveau son indépendance dans la création en y mêlant les idées scientifiques nouvelles qui émergent sur la compréhension de l’Univers, en particulier la théorie de la relativité générale dont il a lu la vulgarisation par le philosophe et mathématicien Bertrand Russel. C’est à cette époque que certains artistes l’encouragent à faire partie des leurs groupe comme ceux du Groupe Espace. Jean Peyrissac est tenté, adhère aux idées, expose auprès d’eux de 1948 à 1949 au salon des Réalités Nouvelles, puis à son retour à Alger prend à nouveau du recul et réfléchit. Il ne peint plus mais dessine abondamment des projets de sculptures.
A son retour à Paris en 1957, en raison des événements politiques, il conçoit de sculptures en fer forgé statique dans des reliefs polychromes et des rondes bosses dans lesquelles la problématique de la notion d’espace et de son cosmos disparaît au profit d’une notion plus actuelle, celle de l’espace public. Il est désormais sollicité pour participer à plusieurs expositions en France et à l’étranger et reçoit plusieurs commandes publiques et privées. On l’associe aux sculpteurs de l’école de Paris tels que Alicia Penalba, Emile Gilioli, Henri-Georges Adam et Marta Pan. Auprès d’eux, pour la plupart plus jeunes que lui, il se sent certainement plus à l’aise qu’avec les maitres de l’art moderne.
Jean Peyrissac a vécu entre deux époques. Il est né au passage du
siècle et a connu tout le développement de l’art moderne mais en même temps à la fin de sa vie il assiste au développement de l’art contemporain.
Artiste visionnaire, il écrit : « Sans doute verrons-nous de grandes plastiques mouvantes abandonnées aux éléments, occuper les grands espaces vides de nos places, animer, équilibrer les profils de nos architectures, marquer les entrées de nos ports ». « En multipliant nos puissance de perception nous voyons venir le temps avant qu’il ne soit né »
Cette puissance de la réflexion, cette exigence dans la réalisation, il la met au service de ses oeuvres jusqu’à la fin de sa vie. Chaque oeuvre de l’artiste est menée avec du temps, elle est comme une appropriation ou un aboutissement de ses recherches et de ses réflexions. Jean Peyrissac remet en question son art constamment par l’apport de nouvelles idées scientifiques et philosophiques. Jean Peyrissac est un théoricien de la création qu’il fonde sur des notions à la fois scientifiques de Sigmund Freund, Carl Gustav Jung, et Bertrand Russell, et aussi sur des notions religieuses et ésotériques comme la religion catholique et ses grands penseurs tels que Teilhard de Chardin et la théosophie. Cette démarche intellectuelle de l’artiste qui constitue un dialogue permanent entre le monde imaginaire et l’exigence de la création va constituer l’un des fondements de la création de ces oeuvres sculptées, reliefs et sculptures animés.
Jamais enfermé dans un mouvement, c’est là toute sa richesse mais c’est aussi toute la difficulté pour celui qui tente de le comprendre et de faire le travail de l’archéologue. Jean Peyrissac réalise ses oeuvres sans aucune concessions vis à vis des contingences matérielles d’aucune sorte. Si l’on prend l’exemple du Grand Mercure exposé à la galerie Maeght, sa création n’obéi qu’à un seul principe celui du seul respect de son idée et de sa conception, c ‘est à dire au service exclusif de la pureté de sa plastique imaginée. L’originalité de son oeuvre repose aussi sur le fait qu’elle est restée à l’abri de toutes tendances commerciales et matérielles jusqu’au retour de l’artiste en Métropole.
Somme toute, les seules influences reçues sont exclusivement intellectuelles, philosophiques, scientifiques, artistiques et religieuses dont son oeuvre représente une synthèse harmonieuse.
Stéphanie Peyrissac Fauconnier
© Galerie Laurentin, Paris, Bruxelles